“Le Mal est tout ce qui distrait” — Franz Kafka
Un long coma
Je me réveille après un long coma et découvre ce qui a changé. Les voitures sont un peu différentes mais les passants se comportent d’une façon vraiment étrange. Ils sont voûtés, la tête penchée vers un rectangle noir. Devant les collèges, il y a moins de chahut, des élèves sont assis ensemble mais tous seuls devant leurs appareils. Au restaurant chacun apporte à table l’accessoire qui accapare l’attention. Je me demande bien ce qu’il peut y avoir là-dedans.
Plus jamais vraiment ici
Nous avons conquis une nouvelle frontière, éparpillé notre esprit dans tout un tas de nouveaux territoires virtuels : groupes de discussion, réseaux, blogs, forums, e-mails, newsletters, applications, sites divers …
Notre attention est de plus en plus partagée, fragmentée.
L'attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité. -Simone Weil
Quand on parle avec celui qui est connecté il ne vous entends pas, il est vraiment ailleurs. Quand il n’est pas connecté, il y pense avec nostalgie et l’anxiété de manquer quelque chose d’important.
Deux fois plus de souffrance
En dix ans les taux d’anxiété, dépression et suicides ont doublé chez les adolescents et jeunes adultes. Certains se contentent de décrire cette épidémie qui démarre bien avant le Covid. Son point d’inflexion, au début des années 2010, est pourtant à la convergence du smartphone, des réseaux sociaux et de l’internet à haut débit.
Beaucoup refusent pour l’instant de faire l’addition de cette expérimentation sur nos cerveaux.
Pendant ce temps, pédiatres et médecins de PMI reçoivent une quantité inédite de bébés avec des troubles sévères probablement causés par l’exposition intense aux écrans et les carences qui en résultent. L’étude qui le prouverait ne sera jamais réalisée pour des raisons éthiques évidentes.
Humain après tout ?
Un mécanisme évoqué pour expliquer cette explosion est le changement radical dans la nature des interactions sociales humaines dans un moment clef de leur construction.
Basculant d’une enfance basée sur le jeu libre, non surveillé, vers une enfance sur téléphone, virtuelle et sur les réseaux. L’évolution nous a offert la capacité de construire sur les fondations des générations précédentes. Ces compétences s’acquièrent exactement-là où les géants de la tech ont décidé de frapper.
L’algorithme vous conseille : -”Superbes vidéos de comment grimper aux arbres”… Il fait noir, quand vous levez la tête, il n’est plus l’heure de jouer dehors avec les copains. L’algorithme vous console : -”Dix histoires extraordinaires pour l’heure du coucher”.
Il vous connait si bien…
💡 Les écrans et leurs contenus sont à la source d’une crise de santé mentale sans précédent. L’antidote est la reconnaissance du jeu libre comme mode d’apprentissage optimal pour les enfants de l’espèce.Nous sommes devant un choix :
Prendre conscience de notre vulnérabilité très humaine face aux écrans et aux contenus sur mesure qui nous asservissent, ou
Accepter le sacrifice des générations actuelles et futures qui manqueront des outils élémentaires sociaux et émotionnels pour s’adapter.
Cette vulnérabilité, immense chez le tout petit, impose le bannissement des écrans avant 3 ans. Il faut choisir les contenus et si possible les visionner ensemble, entre 3 et 6, pour mettre en perspective les images. Pas de téléphone propre avant 12 ans. Pas de réseaux avant 16 ans. Bagarres incessantes pour le contrôle du temps et du contenu ensuite…
Bon courage à tous les parents.
On mérite mieux !
On mérite de commencer par donner l’exemple, par nos actes. Cela passe par un rituel d’éloignement physique vis-à-vis du miroir sombre. Par une déconnexion avec les mondes virtuels et une re-connexion avec nous-mêmes et nos proches.
On mérite d’offrir aux enfants cet espace de liberté physique qui permet le jeu libre non surveillé et qui nous a forgé depuis la nuit des temps (zanfan la cour en créole).
On mérite de faire preuve de vigilance et de protection vis-à-vis des contenus consommés en ligne et des interactions sur les réseaux.
Je pense que dans quelques années, nos réactions devant un enfant seul avec un écran sera du même ordre que celle que nous avons devant un enfant qui fume de nos jours.
Pour finir avec légèreté, mettons les Gants Blancs des Khruangbin.
Ressources :
La règle des 3-6-12 de Serge Tisseron
The Anxious Generation est le livre qui a inspiré ce billet. Voici une vidéo, avec sous titres disponibles en français, d’une discussion avec l’un des auteurs.
Le Jeu Libre selon Peter Gray
En France on légifère en ce moment sur les écrans
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