Chers lecteurs,
Je reposte ici le premier billet publié ce jour dans la nouvelle Newsletter On mérite mieux (pour les soignants). Les sujet abordés seront plus techniques et le jargon moins grand public. Vous pouvez bien sûr vous abonnez si vous le souhaitez.
Bonne lecture. P Liberati.
“Il y avait un vent frais de début de printemps dans la vallée. Le torrent de montagne grondait au loin.
Le premier témoin flânait, comme chaque matin, quand un cri perçant le sortit de sa torpeur. Ce cri allait le propulser dans une course qui bouleverserait pour longtemps sa vie et celle du monastère.
Quelle chance d’être là au bon moment !
Il prit un raccourci, car un plan s’était déjà formé dans son esprit. Sans ralentir il ramassa une branche de la bonne longueur.
Il la lança par dessus le pont, juste à temps pour que l’homme qui se débattait dans les flots puisse l’attraper. Il mit un moment pour le tirer sur la grève, et n’a pas pu vraiment reprendre son souffle qu’un autre cri se faisait entendre.
Tous les moines ont été mis à contribution, avec une organisation précise. Ceux qui guettaient, ceux qui coupaient, ceux qui transportaient les branches, ceux qui repêchaient les noyés, ceux qui se reposaient… Une chaîne de solidarité s’était formée avec l’aide d’une cagnotte des villageois.
Winslow Homer , Maine Coast
Même si certains tombaient d’épuisement et que d’autres rechignaient à remettre la main à la poche, on avait de quoi être fiers. Tous ces gens sauvés !
Dans cette agitation personne ne fit attention au moine figé au milieu du chemin, paralysé dans une stupeur soudaine. Les collègues passaient en courant et le bousculaient : - “ Pousse-toi ! ” - “ On n’a pas le temps de rêvasser ! ”
Il murmura quelque chose d’inaudible et partit en courant le long de la berge, voir en amont ce que faisait tomber à l’eau tous ces gens.”
Cette parabole, racontée par un confrère, m’est restée dans la tête comme un caillou dans la chaussure. Elle encapsule mon parcours professionnel et mon laborieux aveuglement.
Je me suis engagé, tête baissée, dans cette course pour soulager et traiter. Ça a donné du sens à ma vie mais après dix ans, j’ai remarqué peu à peu ce qui n’étaient pas dans mon champs de vision auparavant :
Nous sommes tous, en moyenne, de plus en plus malades.
De maladies liées aux changements rapides des modes de vie.
Ces maladies émergentes s’accélèrent depuis peu.
Elles sont évitables, mais sans un véritable impact des mesures déployées.
Nos modèles économiques et démographiques annoncent une impasse. Sans prévention primaire, notre système de soins est insuffisant.
Ma formation a été absente pour aborder cet aspect du métier.
C’est compliqué pour un soignant de s’en rendre compte et la plupart du temps c’est juste invisible. Ce scotome existe pour des bonnes raisons et, même si on le voit, personne n’aime jouer les cassandres. Je me suis donc gentiment assis dessus.
J’ai ressenti une inadéquation, sans savoir quoi faire de précis pendant des années. Mais ce temps a été utile. J’ai pu choisir des curateurs pour tenter d’y voir plus clair et écrire des notes pour organiser ces idées et m’en faire une synthèse.
J’ai dû laisser partir certaines d’entre-elles pour en accueillir des plus performantes. J’ai traversé toutes sortes de phases : incrédulité, culpabilité, colère, résistance, ambivalence, remise en question de mes connaissances… Ce moment inconfortable a été un non-choix.
Le calme est revenu quand j’ai arrêté de rechercher un coupable et réussi à me concentrer. Cette distraction m’a éloigné de l’action.
Un jour j’ai eu envie de partager et j’ai envoyé une lettre de prévention aux patients. C’est compliqué que d’écrire de façon régulière, concise et sans dire trop d’âneries.
Par ce billet, j’ai voulu expliquer cette démarche à mes confrères et correspondants. Si vous la recevez c’est que l’on s’est croisé.
On mérite mieux ! c’est son nom et ça la résume assez bien :
On mérite une enquête rigoureuse de quand cela a commencé et de ce qui a changé.
On mérite un espace pour parler des compromis implicites de cette nouvelle normalité décrétée. Ainsi que du chemin à parcourir pour être plus en phase avec une physiologie de l’espèce qui met longtemps à s’adapter au changement.
On mérite une politique de prévention humaine adaptée aux nouveaux moyens de communication.
On mérite un pacte de confraternité autour de nos valeurs les plus précieuses, pour faire cesser les hostilités entre soignants.
On mérite de faire confiance aux confrères et aux patients dans leur capacités à accueillir de nouvelles idées.
On mérite d’accepter l’inconfort du doute comme méthode d’exploration, et le vertige des zones de connaissance encore en friche.
“On mérite de ne pas nous tromper nous-mêmes car nous sommes les plus faciles à tromper”. - R. Feynman.
💡 La prévention primaire est le parent pauvre de la médecine. Nous devons jeter des ponts entre disciplines et tester des idées nouvelles rapidement car les maladies non transmissibles sont une menace pour l'espèce.
Pour finir, la musique apaisante de Paulinho Nogueira.🇧🇷
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Encore un sujet qui questionne le collectif et l individuel. Et si tout simplement on se disait qu à l impossible nous ne sommes tenus, que d aucun seul peut sauver le monde, si tout simplement et positivement chacun pouvait prendre mesure de ce qu il fait à sa dimension et s en féliciter, à commencer par vous, Docteur qui m avez sortie d un mauvais pas de santé, rien que ça a de la valeur et peut donner sens à votre route ...donc....continuez, gardez foi en qui vous êtes et ce que vous accomplissez. Est-on davantage malades aujourd'hui ou beaucoup plus attentifs voire trop attentifs à notre santé...?
Merci pour ce billet qui m’a permis de relire les plus anciens. Le paradoxe de l ‘état de santé est que l’espérance de vie reste globalement stable, ce qui est trompeur, mais que l’espérance de vie en bonne santé par contre diminue laissant ainsi peser le coût de ce maintien “artificiel” en vie sur nos sociétés déjà fragilisées par une pyramide des âges qui s’inverse. Problème de natalité ou de fertilité. Sur ce dernier point, des signes alarmant semblent indiquer, particulièrement pour les sociétés occidentales, que la crainte qui a émergée dans les années 60 d’une surpopulation hors de contrôle soit grandement exagérée. Nous sommes même plutôt en train de réaliser avec effroi que c’est l’inverse, une forme d’effondrement, qui comme disait Oscar Wilde au tribunal à propos de sa ruine :
“ Lentement au début, très vite à la fin”