“Ne pas chercher à ne pas souffrir ni à moins souffrir, mais à ne pas être altéré par la souffrance” - Simone Weil.
Un moment suspendu :
J’ai vu ma fille qui assemblait un puzzle. Je me suis dit que je pourrais l’aider. Que ça lui resterait comme un souvenir. Qu’elle le raconterait, un jour, à ses enfants. Que je ne prends pas souvent le temps. Que je ne suis pas un bon père. Qu’il ne faut pas tarder car il est bientôt l’heure de manger. Qu’il fait chaud et que je devrais ouvrir la fenêtre. Que le week-end est passé trop vite.
Je me suis dit…
Non, je ne me suis pas dit. Je me suis laissé emporter par ce torrent des pensées générées par mon esprit. Je prends un moment pour les observer, elles se font moins impérieuses.
Je respire. Je vois enfin mon enfant, son regard intense qui cherche la pièce suivante. Ces pensées cessent un instant, le temps paraît suspendu. Tout est là.
Image générée par l’intelligence artificielle.
Ce que l’on ne peut pas changer :
Et si une partie de nos soucis de santé venait d’un stress chronique que nous nous infligeons à nous-mêmes ?
On dit que le stress vient de l’extérieur… mais un stress continu est souvent le fruit d’un flot de pensées stressantes qui s’imposent à nous, sans que nous ayons notre mot à dire.
Nous avons peu de contrôle sur ce qui nous arrive, et encore moins sur ces pensées.
On verra d’où ça vient et ce qui est en notre pouvoir pour le changer.
Flots tumultueux et chaotiques sur Jupiter
Courage, fuyons !
Nous avons des stratégies maladroites pour lutter contre la dictature de ces pensées désordonnées. Nous faisons des efforts intenses pour essayer de ne pas nous retrouver seuls avec elles.
Parfois on se concentre sur une seule pensée : c’est une obsession et c’est souvent pire.
Parfois on essaye d’y échapper par une distraction, avec la multitude de solutions technologiques pour nous remplir l’esprit de contenus extérieurs, captivants, faciles et de courte durée. Parfois j’entends ce cri de souffrance chez mes enfants : “Je m’ennuie !”, c’est une autre façon de nommer cet inconfort, de dire qu’il est pénible d’être à leur merci et de solliciter une dose de distraction pour leur échapper.
Ces pensées ne se taisent vraiment que devant l’urgence d’un danger. Ça expliquerait le succès de certains types de sports pourvoyeurs de ce silence adrénaliné.
Une nouvelle pièce :
On explique de manière simpliste nos maladies modernes par un changement d’habitudes, qui à son tour provoquerait une cascade d’effets biologiques déplaisants.
Cette explication ne prend pas en compte d’autres pièces du puzzle, dont le stress chronique.
On a beau modifier l’alimentation, l’activité physique et le sommeil… Si ce stress n’est pas sous contrôle, les résultats seront décevants.
Pourquoi on s’inflige cela ?
Notre cerveau s’inquiète pour nous.
Comme un parent possessif, aimant mais trop exigeant qui, en nous surprotégeant, nous rend la vie impossible.
Il se comporte mal avec la meilleure des intentions :
Il doit construire un récit cohérent de ce qui nous arrive. Il re-visite le passé et ressasse des événements marquants. Parfois il travestit la réalité pour nous donner le beau rôle. Il fait remonter des souvenirs désagréables ou dangereux pour apprendre des erreurs.
Une autre de ses fonctions est d’imaginer toutes les choses terribles qui pourraient nous arriver afin de les éviter. On pense en premier au scénario le plus défavorable. Cette négativité est inscrite en nous comme un outil de sauvegarde.
Mais surtout, il ne peut s’empêcher de juger. Ce jugement est diffusé en continu dans nos têtes comme un bruit de fond. La réalité est perçue avec ses yeux implacables. Rien n’est assez bien et il n’est jamais content. Il monopolise l’attention et crée de la souffrance avec des avis tranchés et sans nuance. Avoir ses moindres faits et gestes jugés et commentés est intolérable et si on ne prend pas garde, nous voilà entrainés dans ce flot tumultueux et fusionnel. Juges et parties dans un tribunal triste.
Il rumine et fait des allers-retours incessants entre regrets du passé et angoisses de l’avenir. Entre les illusions d’un passé fantasmé et d’un futur incertain. Ce sont des illusions car tout ce qui existe vraiment est là, maintenant, dans l’instant présent.
Schéma très simplifié et parfaitement illisible du cerveau.
Ce que l’on peut faire, notre espace de liberté :
Pouvoir s’en détacher est essentiel. Si on ne prend pas nos distances avec cet amour étouffant on souffre, en pensées d’abord puis dans notre chair, par ce stress chronique.
Notre seul pouvoir réside dans cet espace entre la pensée et notre façon d’y réagir.
Vous n’êtes pas obligé d’adhérer à leur contenu. Vous pouvez les critiquer et si vous le faites, vous ne succomberez plus à leur enchantement.
“ Prendre conscience du bavardage irrépressible de l’esprit et de son pouvoir d’attraction ” voilà le début du travail pour Christophe André.
J’ai mis longtemps à comprendre cela.
C’est par une mise à distance, un pas en arrière, que vous verrez se dévoiler cette mécanique. La métaphore zen de la cascade dit que si vous prenez place entre la paroi rocheuse et la chute d’eau vous êtes tout proche pour observer le flot sans être emporté par lui. C’est un équilibre, entre présence et distance.
Cascade par Dronecopters
💡 Vous n’êtes pas vos pensées : Vous pouvez les observer et essayer de voir leurs origines.
-“Cette nouvelle coupe ne lui va vraiment pas.” pourrait être reformulé en
-“Tiens me voilà en train de juger de son apparence.” qui peut conduire à
-“C’est peut-être parce que je perds mes cheveux et ça m’inquiète.” et parfois à
-“Je vieillis et j’ai peur de mourir.”
Observez ces pensées et vous vous verrez sur scène, acteur de cette pièce, dont les artifices et artéfacts en coulisse deviennent évidents. Libérez-vous de ces souffleurs autoritaires et improvisez un récit original pour votre vie.
On mérite mieux ! On mérite d’apprendre à maîtriser cet exercice de lucidité.
Pour finir en grâce, la musique décalée et envoûtante de Sufjan Stevens
Ressources :
Merci à Mo Gawad et son livre émouvant pour avoir inspiré cette lettre.
Christophe André : Méditer jour après jour est un trésor que j’ai pillé joyeusement.
Jon Kabat-Zin : Où tu vas, tu es pour un pas-à-pas pratique de cette sagesse.
Naval Ravikant est la source de certaines idées, merci à lui.
Tellement VRAI, et si nous pouvions, de temps en temps, juste un peu, poser notre cerveau sur le bord de la fenêtre, pour qu'il "s'aère", qu'il prenne le soleil, la lumière, voire le frais LOL !
Car cest p'têt ça qui lui manque,,,enfermé sans notre boîte crânienne...protégé, oui, mais enfermé quand même !
Boh, oui je délire un peu...mais pendant ce temps-là, nous...on aurait un peu la Paix de l'Esprit...qui lui, n'est PAS censé être enfermé...Isn't it ??
Merci pour cette interprétation du stress intérieure racontée avec humour et perspicacité !