La course en montagne est une discipline populaire et pour certains, une voie vers une bonne santé. Nous avons le plaisir de donner la parole à Olga Hoarau qui nous explique avec poésie les raisons physiques, psychiques et spirituelles d’un tel engagement. Bonne lecture.
« Un autre corps naît du nôtre qu’on ne soupçonnait pas. Et celui-là nous surprend dans la volupté comme dans l’effort […] La montagne nous amplifie et dans les meilleurs jours nous hisse au-dessus de nous-même. » - Pascal Bruckner
Ivresses
La foule s’est étirée et je ne vois plus de frontales ni devant, ni derrière; je peux éteindre la mienne maintenant et lever les yeux, son halo laissant place à la multitude d’étoiles scintillant dans une nuit noire. Là, où les repères disparaissent dans un flou inquiétant et grisant, ciel et terre se mélangent mais je ne suis pas perdue. Bien au contraire.
Je serai aux premières loges pour goûter aux douceurs enveloppantes de l’aube, ses chants, ses décors majestueux encore endormis, là, au détour d’un virage. Derrière une branche, l’horizon orange-violacé, glisse du bleu roi au noir profond.
Dans cet entre-deux mondes, le temps est suspendu. Le cœur luxuriant de la nature se met délicatement en marche et j’y suis, pour remplir mes poumons d’air frais et m’amuser des gouttelettes de rosées qui virevoltent.
Tous mes sens sont en éveil.
La main qui caresse l’herbe haute qui borde le chemin; les pieds qui jouent à se frayer un chemin parmi les racines entremêlées. Le bruit étouffé de mes pas, sur la terre humide, respecte la tranquillité du moment.
Par petites touches, les rayons du soleil révèlent à mes yeux comment le végétal tente de recouvrir le minéral. Au passage à gué, c’est une explosion de couleurs. L’herbe corail s’étale en nappes rosées jusqu’à la paroi de basalte. La fine dentelle de fougères protège la fraise des bois à l’ombre de ses frondes. Toutes les nuances de vert s’associent dans le tableau. Contrastant avec ce désordre exubérant, les troncs rouges des cryptomérias s’élèvent dans une verticalité presque parfaite vers le brouillard.
L’oreille distingue les sonorités familières du corps en mouvement; du souffle, des pas, du sac, du cœur qui bat. Et si mes rythmes pouvaient se synchroniser avec ceux des piaillements, du vent dans les arbres, de la rivière et de la cascade au fond de la ravine ? Bercé par cette musique, l’effort se teinte d’un plaisir intense. Je me convaincs que je peux laisser la fatigue de ce côté-ci de la rivière.
Les narines pleines d’un saisissant parfum boisé et épicé, je m’élance et malgré les crampes, mes muscles se contractent et le sourire s’installe, je suis vivante !
Je me sens petite et privilégiée face à la montagne; avec un mélange de crainte et de fascination qui apporte à ces instants pourtant si simples une grâce palpable, une étincelle de sacré.
Pourquoi ?
On me demande souvent : - «Pourquoi tu fais ça ?», se réveiller à 2h, se chausser dans le froid sous un petit crachin, aller courir seule alors que tout le monde dort. Cette question, je me la pose régulièrement et j’y retourne. Parlons ici du sens de volontairement se soumettre à l’inconfort d’un effort inhabituel.
Ce sens se trouve bien au-delà des bienfaits de la pratique d’une activité physique régulière. Pour ça, je pourrais aussi bien faire un footing près de chez moi, alliant l’utile à l’agréable.
On cherche bien sûr des sensations physiques, avec ce type d’effort intense et soutenu qui essouffle, fait brûler les muscles et battre les tempes. Mais ce n’est pas que ça.
Il y aussi l’ego. La satisfaction personnelle d’avoir accompli un défi sportif précis : un parcours, une distance, du dénivelé. Aller plus vite, plus loin, plus haut. Un combat renouvelé avec mes limites, les flouter pour mieux les repousser.
Au-delà de l’effort et grâce à lui, quelque chose d’autre se joue. Ce que je ressens est pour moi une évidence, que j’aimerais essayer de partager.
L’évidence
Courir, je sais faire, sans réfléchir, en pilote automatique. Cet automatisme permet à l’esprit d’aller vavanguer loin, là où il est utile d’aller faire un tour, bat’ carré.
Ce que je viens chercher, c’est une sensation imprévisible que je ne rencontre qu’avec la course à pied et sur les sentiers. Quand la tête, le cœur et le corps s’alignent dans une clarté surprenante.
Pendant un moment, plusieurs heures parfois, je vais vivre une transe fragmentée. Tantôt ailleurs, tantôt hyper-présente. Cette transe a quelque chose de véritablement transcendant et unique. Ça passe par mon corps tout entier, et me connecte avec la Nature tout autour dans une communion. Et il n’y a rien d’autre à faire que se laisser traverser et de profiter de cet instant avec étonnement et curiosité.
Dans cet état singulier, ce que je sais sur moi et sur tout ce qui m’entoure prend une tout autre saveur. Il possède l’énergie et les ingrédients propices aux transformations. Les connexions se font et se défont, les questions trouvent leurs réponses, les nœuds se délient, les émotions prennent leur juste place avec une fluidité agréable et déconcertante. Je me sens à ma place.
Quel plus beau décor que ces montagnes pour apprendre à se connaître ? C’est évident, je vais continuer de courir, pour me retrouver, m’enraciner et m’enthousiasmer. Enthousiasmós signifie le sacré à l’intérieur de nous.
« Nul ne sait ce que peut le corps » - Spinoza.
On mérite mieux !
On mérite, même l’espace d’un instant, d’Être entièrement nous-mêmes, puissants dans l’effort et vulnérables face à l’immensité qui nous dépasse.
On mérite de découvrir ce qui peut se passer lorsqu’on s’autorise à observer avec curiosité cet état modifié de la conscience. Dans mon cas cela m’a permis de percevoir la volupté d’une force infinie qui nous lie à toutes choses, ce dieu de Spinoza.
On mérite de voir ces coureurs d’un autre oeil. Des hommes et des femmes qui courent, en quête de sens, pour se retrouver.
On mérite de comprendre que la question du sens sera au centre des enjeux de santé mentale dans la prochaine décennie et, ce qui est décrit dans ce billet est l’une des portes pour l’explorer.
Pour finir ce billet en musique, vous voilà de retour en 74.
💡 La course en montagne peut offrir, pour ceux qui y font attention, un cadeau qui dépasse les bienfaits purement physiques et psychiques en vous connectant avec ce qui nous dépasse (aspect transcendant) et avec la part du sacré en chacun d'entre nous.
Ressources :
Si vous ne pouvez pas courir il y a d’autres portes :
La répétition de Mantras ou prières (comme dans Franny et Zooey).
Carl Jung nous raconte dans son livre rouge comment il a ouvert sa propre porte.
Et on ne parlera pas des nombreuses portes condamnées par la loi française.
Quand on n'aime PAS le sport, et a fortiori la course à pied, c'est mon cas...pour le moment...on reste sur le Q d'avoir été très émue et bouleversée par ce texte ! Quels magnifiques RESSENTIS OLGA nous partage là ! Nous ne sommes plus dans "seulement" de la course à pied, mais dans une belle COMMUNION avec LA NATURE !
Pour le coup, cela me réconcilie "tendrement" avec cette "activité sportive" à laquelle je vais DEVOIR m'adonner vu les bienfaits qu'elle apporte....et dont j'ai GRANDEMENT besoin !
MERCI PÉDRO pour ce partage, et MERCI OLGA donc !
C est très beau ! Merci